La Carrière et le sous-sol

Par un dimanche ensoleillé de l’automne 1998, au moment des arbres en couleurs chez nous, j’ai eu l’occasion de « découvrir » la carrière Meloche, grâce à un ami qui occupait alors un emploi de mécanicien au service de cette entreprise.

En voyageant sur la route 338 en direction ouest, un peu dépassé les bretelles d’accès au Pont Mgr Langlois, il peut nous arriver de croiser des gros camions vraquiers chargés de pierraille de diverses grosseurs, des camions à benne rotative remplie de ciment liquide, ou d’autres dont la charge est fumante d’asphalte fraîchement préparée.

Sur l’autoroute 20, allant en sens inverse, entre la sortie des Coteaux et celle du même Pont Mgr Langlois, on longe une voie d’évitement presque toujours occupée par des convois de wagons-trémies pleins de gravillons destinés au ballast de chemins de fer. Une portion de sol coteaulacois contribue ainsi au progrès quelque part. Parfois, une poussière grise, soulevée par les discrètes mais efficaces explosions nécessitées par le minage des strates de roc ou simplement par le va-et-vient des poids lourds par temps sec, s’élève au- dessus de cet espace dont on n’aperçoit rien au-delà d’un talus de protection de quelques mètres de hauteur enchevêtré d’arbres d’allure maladive.

La carrière Meloche est encore en pleine production et doit ressembler à une véritable fourmilière les jours ouvrables. Au-delà de barrières bien gardées, on rencontre un édifice abritant une cimenterie, une usine d’ameublement urbain en aggloméré de divers tons et formes : abreuvoirs, bancs, lampadaires, bornes. Il y a aussi une usine d’asphalte et des ateliers de maintenance pour une machinerie très diversifiée : perforatrices à air comprimé, excavatrices, tracteurs, loaders, moteurs Diesel monstres et d’autres aux allures plus conventionnelles, etc. À ce niveau, on aperçoit aussi la gueule de l’immense concasseur qui broie la pierre selon des dimensions déterminées.

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Une entaille dans le sous-sol de Coteau-du-Lac

 

 

En s’engageant dans la descente de l’immense trou à ciel ouvert, une cinquantaine d’arpents carrés en surface, ce sont les couleurs qui m’ont frappé. Les parois de la carrière apparaissent comme une pyramide tronquée et inversée à trois degrés, chacun mesurant environ neuf mètres. Elles exposent l’oxydation des divers minéraux, parfois en plus sombre grâce à quelque ruissellement de surface suintant des interstices, véritable toile d’art abstrait. Tout au fond, la partie la plus creuse à avoir été exploitée est remplie d’un liquide émeraude. Des pompes fonctionnent continuellement pour empêcher l’inondation naturelle de ce chantier. Nous avons parcouru en voiture quelques-unes des pistes spiralées qui s’accrochent aux murailles tout autour du cratère. À mi-chemin, en contre-plongée, c’est merveilleux de voir des meulons de gravier aux diverses couleurs, elles aussi dépendantes des minéraux contenus dans le roc, étalés un peu comme autant de biscuits frais sortis du four et déposés sur un comptoir. Bien qu’aucune activité laborieuse ne s’y déroulât ce jour-là, c’était plein de vie là-dedans.

CarrMeloch_2Du mobilier urbain en aggloméré

CarrMeloch_3Tel une toile d’art abstrait

M. Roger Quenneville, de la Société d’histoire de Coteau-du-Lac, a mené une recherche au bureau des enregistrements de Vaudreuil pour reconstituer la chaîne de titres des terres voisines de la Compagnie Meloche Inc. Cela nous révèle qu’elles ont été l’objet de plusieurs transactions surtout à partir de 1885. Les noms des familles Alexandre Perry, Jean-Baptiste Lalonde, Pierre Doucet, Moyse Giroux, Ernest Dempsey, Alexandre Léger et Alfred Blanchard, etc. se succèdent au fil des morcellements d’un espace qui ne devait être occupé, au début du XIXe siècle, que par des terres agricoles portant les numéros 257 à 261 de l’actuel cadastre. Des aînés de notre communauté m’ont rapporté qu’il y eut jadis une carrière portant le nom de Dempsey dans ces parages. En 1959, la famille Meloche, originaire de Pointe-Claire, est devenue propriétaire d’une partie de ce territoire démantelé au fil du progrès : le chemin de fer Grand Trunk, le Canal de Soulanges, la route 338, les approches du Pont Langlois, l’autoroute 20, etc. La Compagnie Meloche Inc. opère d’autres industries; elle emploie environ 200 employés dont 25 à Coteau-du-Lac; son siège social se trouve à Kirkland.

La présente page d’histoire nous fait ainsi mieux connaître le sous- sol coteaulacois. Presque toute la superficie de notre territoire présente un sol éminemment fertile, une terre forte en plusieurs endroits, une terre retenant bien l’eau et sachant résister aux périodes de sécheresse. Le roc n’est pourtant jamais bien loin de la surface, surtout le long du fleuve sur un espace d’un demi-kilomètre, où il affleure à peine à trois mètres. On peut encore apercevoir tout près de l’ancien lieu de l’Hôtel de ville (route 338), les vestiges de la carrière Quinlan, aujourd’hui inondée; on peut remarquer en quelques autres endroits du territoire des puits d’exploitation de gravier maintenant abandonnés. Notre roc en est un d’ancien fond de marin, disposé en strates, Il surgit cependant par endroits de surprenantes fosses d’argile bleue très instables, par exemple celle qui se trouve au carrefour de la route 338 et du chemin St-Emmanuel qui a donné du fil à retordre aux artisans du creusage du Canal de Soulanges.